Bon Sens Paysan

« Vous avez jusqu’à demain pour me chercher ce que signifie l’abréviation – BSR ». Nous étions en cours d’économie et de gestion, en classe de terminale, et la professeure de l’époque nous avait challengé, selon ses dires, sur un concept indispensable pour mieux appréhender, spécifiquement pour le cours en question, le concept de comptabilité générale. Elle n’eut pas besoin d’attendre jusqu’au lendemain, je lui répondis presque instantanément « BSR = Bon Sens Paysan ». Elle me regarda surprise mais satisfaite de la réponse : « C’est exactement ça, tachez de vous en rappeler tout au long de votre vie ».

A titre individuel, je dirais qu’il est assez aisé de garder du bon sens dans son organisation. Par exemple, en préférant traiter en amont les problèmes plutôt que d’en subir les conséquences et de devoir les gérer en aval. Cela étant, lorsque l’on est dans un cadre professionnel, que l’on doit rendre des comptes à une organisation ou à quelqu’un (clients, fournisseurs, supérieurs…), alors cela n’est pas évident de faire ce que le bon sens paysan nous inciterait à réaliser naturellement.

Premier exemple qui me vient en tête. Dans la théorie du Management il est coutume d’inciter les personnes qui exercent des responsabilités, de dire qu’elles doivent apprendre à déléguer. Cela est très bien au niveau de la première strate. Néanmoins, le travail va naturellement descendre en cascade et reposer sur l’autre personne du niveau inférieur qui va se voir augmenter d’autant sa charge de travail. Si cette dernière qui occupe un poste de « Middle Management » en fait de même, autrement dit qu’elle apprenne tout aussi bien à déléguer, alors la ou les personne(s) en dessous d’elles se retrouvent directement impactés. Le poids hiérarchique d’une consigne qui vient d’en haut ne laisse pas vraiment le choix pour celui ou celle qui doit se faire un devoir de réaliser ce qu’on lui dit. Il est assez naturel que ceux qui sont en bas de l’échelle subissent de pleins fouets les changements de directives claires de ceux qui les gouvernent.

Comment ne pas avoir une pensée en ce moment même pour nos agriculteurs qui réclament un vaccin pour leurs bovins et qu’ils n’ont pas trouvé d’écho à leurs demandes. En conséquence de cette non-action ou – plutôt décision gouvernementale unilatérale – il n’est pas étonnant que lorsqu’un foyer de contamination ait été détecté, le virus peut se transmettre plus rapidement aux autres animaux. Le prix de ce temps de latence a un coût, injustement payé au prix fort par celui qui subit les décisions en aval plutôt que d’y participer en amont.

En 2013, et je n’ai jamais vérifié cette information tant la donnée communiquée par cet érudit interlocuteur paraissait plausible, pour la première fois dans l’humanité le pourcentage d’agriculteurs, paysans, travailleurs de la terre serait devenu inférieur à l’autre moitié de la population mondiale (issue de tous les autres secteurs réunis). Autrement dit, la tendance de fond est que de moins en moins de personnes participent à l’effort de cultiver la terre, pourtant ressource primaire et essentielle pour assurer la survie de notre espèce et préserver ainsi notre équilibre global.

Tout le monde, et je le pense vraiment, n’a pas eu la chance de grandir dans un environnement où la plupart de son entourage proche et de ses voisins étaient des hommes et des femmes issus du monde agricole, de la terre. Des gens pour qui l’amour du travail bien fait était et reste fort. Des personnes qui incarnent au quotidien avec force et détermination ce que représente une journée bien remplie, à s’occuper des animaux, des cultures et bien sûr faire le nécessaire et maximum pour que leurs enfants, leur famille ne manque de rien. J’écoutais une dame hier dire qu’il ne faut pas compter ses heures dans l’agriculture, ce qui est vrai. Vous n’avez pas d’autres choix que de veiller au grain lorsque vous êtes paysans (dans le sens le plus noble de ce terme). Vous devez vous réveiller plusieurs fois dans la nuit lorsqu’une vache doit incessamment faire naitre son petit. Vous entendez frappez à votre porte au milieu de l’obscurité comme cela m’est arrivé à quelques reprises avec mon beau-père de l’époque : « Dis, tu peux m’aider à tirer le veau ». Pas besoin de faire de longues tirades dans ces moments-là, l’urgence est réelle, il faut agir vite et plutôt bien. Par expérience, lorsque l’on vient vous chercher au milieu de la nuit, c’est que tout ne se passe pas comme prévu. Compagnons, compagnes ou enfants d’agriculteurs peuvent en témoigner. C’est la situation typique où il y a des complications, le veau ne sort pas normalement. Il faut user d’ingéniosité en tirant dans un sens ou dans l’autre. La tête peut être coincé, la jambe peut gêner à sa sortie. Il faut rester concentré pour ne pas perdre le fil, se taire et écouter les consignes de celui qui met littéralement la main là ou d’autres oseraient à peine regarder.

Dans ces moments l’enjeu est double, bien évidemment faire naitre ce veau, mais aussi et surtout sauver la vie de sa mère, la vache. Au-delà de l’enjeu économique, une complicité profonde sincère et mutuelle existe entre tout éleveur et ses animaux. Ils s’attachent réciproquement l’un à l’autre. La vache a entièrement confiance dans celui ou celle qui est avec elle au quotidien. Qui la salue le matin, lui ouvre les portes d’un champ lorsque la période le permet ou sinon lui apporte directement sur un plateau ses denrées en hiver, lorsque les températures sont au plus bas. En ce qui me concerne, dans les rares cas où j’ai été témoin privilégié de ces moments de naissance, cela s’est passé à chaque fois dans une écurie. Cela étant, il arrive parfois que la vache mette bas au beau milieu du pré. Et là c’est autre chose, vous êtes aux quatre vents, avec une petite lampe électrique, seul dans le froid et le noir pour assister comme vous pouvez à cet évènement impromptu. Les beuglements de la vache sont un partage du dépôt de confiance qu’elle a en vous.

Au delà de l’anecdote, si dans la plupart des cas une naissance se passe bien il existe aussi la peur de perdre doublement le veau ou la vache, voir les deux, ce qui constitue une véritable tragédie. Le chagrin prend place dans le cœur de cet homme ou de cette femme qui se lève à l’aube pour faire du mieux possible son travail. Pour ceux qui ont du mal à comprendre la colère des agriculteurs à qui on impose de tuer l’ensemble de leurs troupeaux en cas de contagion, imaginez qu’une lettre arrive dans votre boite aux lettres et vous oblige à apporter votre animal de compagnie chez le vétérinaire le plus proche sous prétexte qu’il existe d’autres cas « possibles » de transmissions animales dans votre immeuble ou résidence. Diriez-vous facilement au revoir à votre petit chien ou chat sans vous/le défendre ?

Et vous, que pensez vous d’ailleurs de cette idée d’interdire à nos agriculteurs français et européens d’utiliser certains pesticides tout en laissant importer de la viande ou d’autres produits ne répondant pas du tout aux mêmes contraintes et utilisant des pesticides encore plus dangereux ?

Seriez-vous content dans votre travail ou entreprise, qu’une personne ne respectant pas le règlement intérieur – et pour l’exemple les règles de sécurité élémentaires – soit encouragé par la direction et soit même promu à votre place ? Admettons qu’il faille en moyenne 45 mn pour sécuriser un chantier et qu’une autre équipe au sein de la même organisation ne fasse pas cet effort mais plutôt que d’être sanctionné soit au contraire mise en avant par la hiérarchie car sa productivité est par voie de conséquence bien meilleure, ne trouveriez-vous pas cela injuste ?

Il est évoqué dans les négociations en cours, car c’est bien du MERCOSUR qu’il s’agit, d’imposer des clauses miroirs. J’aimerais profiter de ce terme pour que chacun fasse son introspection en finissant sur une idée. Si au lieu d’être écrit dans la bible : « Ne fait pas aux autres ce que tu n’aimeras pas qu’on te fasse » il avait été suggéré : « Ne laisse pas faire aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse », que cela changerait-il dans nos vies quotidiennes ? Quelles actions ferions-nous différemment ?

Un bon cheminement (…)

Mickaël Garin

NB : Et d’excellentes fêtes de fin d’années à tous. Petites pensées à nos agriculteurs, et surtout pensons à eux au moment où nos assiettes seront aussi variées que garnies dans cette belle période de noël.

 

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