Compostelle, un jour…

« Un lever aux aurores pour suivre le rythme du soleil, accompagner les autres pèlerins. Munis de bâtons à la main, nous foulons les plateaux désertiques surplombant la vallée. Chacun chemine. Quelques échanges de vie, où l’on raconte. La raison de suivre ses pas, est propre à chaque marcheur. L’effort représente le trait d’union de ce groupe, à la fois uni et désuni. Le vent fouette les visages à la rencontre des éléments. Chaque pas s’additionne aux milliers depuis bientôt un millénaire. Pourquoi cette force de suivre le même parcours ? Tradition, coutume, je ne peux le définir ou le ressentir. Peut-être que comme moi, la raison précise n’existe pas. Comme notre partenaire, l’animal qui nous lie avec Mickaël avance dans une direction en suivant. Je n’ai pas pour habitude d’errer vers le groupe. Pourtant, je m’y retrouve. Ce qui importe aujourd’hui, c’est qu’à un instant, mes partenaires de route croient à quelque chose, vont au-delà d’eux-mêmes, cela, je n’en doute pas. C’est à travers ces lignes que je prends conscience de l’impact de cette journée.

Je croise ces regards sans m’attarder, mais lorsque je me retourne, j’approuve cette démarche de se prendre en main. Peu importe la maladresse qui nous assaille, l’essence, c’est de se donner à soi, aux autres. Le jugement me percute, mais je comprends que le respect est avant tout de mise. Ce soir, je décide d’aimer, à chaque instant, profondément, le mieux possible…

Éclairé par ma lampe, assis sur une chaise passée par le temps et les intempéries, j’écris sous la voute étoilée clémente. L’accueil nous a attendu tout le long de notre journée. Une fois de plus, la notion de terrain privé perd son sens, ou plutôt, prend un autre sens. Accueillir, nous accueillir. Trois confrères qui se donnent à marcher en portant attention aux autres équipiers. Après avoir levé le camp dans une clairière abritée par les sous-bois, nous avons, à nouveau cheminé vers un chemin que l’on se doit de regarder. Je me laisse porter, car aucun itinéraire ne doit être ici remanié. Se laisser porter en écoutant son rythme cardiaque, au rythme du métronome animal, qui lui, se respecte. Il nous apporte sa constance, nous lui apportons sa sécurité. Il est guidé mais choisis son itinéraire. C’est peut-être là la force de ce périple. Suivre tout en créant, en y apportant sa propre singularité. Des rencontres riches d’un instant, d’un moment ou d’un temps. Je ressens un élan chez certains, celui d’aller au bout de quelque chose, d’un rêve ou d’une idée. Le silence nocturne s’oppose à la cadence diurne. Mais la sérénité et le calme intérieur, reste, sur sa constance, lui aussi. J’ai vécu une journée amicale où la connexion s’est instaurée. De plus en plus confiant, notre porteur à la tête sympathique, attire par son attitude juste, de plénitude. Les lucioles volent, le silence s’instaure, les feuilles croissent dans la gravité. Je crois au potentiel de chaque chose, de vivre en vie et d’exister. Les pas se suivent, la tête, quant à elle, se remémore, digère, clarifie. Le silence intérieur, trouve également sa constance, son rythme, dans une cadence régulière. J’aime cette vie avec ses aléas, ses défis. Je rêve de sourire et m’attarde sur les rires, d’une complicité retrouvée qui n’a jamais cessée.

Le soleil perce les nuages et atteint les hautes herbes qui se transforment dans cet instant en blé. Les collines, absorbées par la brume, assurent un lever magnifique, de plénitude. L’avancée se fait lente mais la distance s’accumule. Au gré des pas, chaque mètre parcouru assure une continuité. Chaque matin, lorsque la nuit s’éclipse, une nouvelle fois, nous partons. Je ne sais où mon chemin me mène. Je garde le cap, un cap, celui de ma vie. Les quarante kilomètres qui séparaient Estaing de Conques ont assuré la force de la tranquillité et de la sérénité. Les bois, laissant nous engouffrer dans leurs territoires apportent leurs ombrages sous la chaleur estivale.

Notre animal transpire, s’accroche, nous fait de plus en plus confiance. Il hésite dans les pas difficiles, nous le motivons à avancer. La traversée des cours d’eau à guets est une nouvelle avancée, une nouvelle victoire, sur la maîtrise de notre tâche. Les rencontres alimentent nos journées. Félix, un jeune de dix-sept ans partage mes pas en ce jour. Je le motive, lui parle à travers sa passion, avec mon recul, de ce qu’il entreprend. Attentif et ouvert, j’apprécie sa compagnie. Essayer de guider sans m’imposer pour le comprendre me remplit. Nous échangeons comme deux amis où il m’apporte, lui aussi, son entreprise de vie. La mixité et la fusion apportent tellement.

Ce chemin emprunté renforce ce lien qui nous relie, tous. Dans les hauteurs de Conques, de nouvelles rencontres me font partager l’amitié de l’instant. Sans masques, essayant d’être le plus proche de nous-mêmes, nous échangeons sur nos perceptions. Les voyages, spatiaux ou sédentaires, nourrissent chaque homme qui l’entreprend. Le voyage, l’aventure, commence peut-être par la confrontation de nous-même à l’extérieur, sans superflu ni calcul. Il est difficile de ne pas juger, de s’enlever les a priori, mais le plus important, c’est de s’oublier à la rencontre du moment, de soi-même et de l’autre. Nous repartons à nouveau, le lendemain. Chaque jour se suit, mais le rythme, l’approche est singulière en tout temps. Dans ce présent qui s’échappe comme un éclair, tendre à ce que nous entreprenons me paraît être la plus noble tâche. Donner à nouveau le meilleur, malgré ces temps de fatigue, de lassitude ou de mécontentement. Donner un beau visage n’est pas toujours aisé, mais ce n’est pas ce qui importe. L’intention est une vertu magnifique même si le résultat n’est peut-être pas au rendez-vous. Hier, les pas en groupe, soudés, ont dominés la connaissance et le lien qui nous liait. Violaine, Florian, Mickaël, Pompon… Pris dans les échanges, le regard filait sur les mots, cette fois-ci.

L’espace-temps, absent dans ces heures, m’a à nouveau, beaucoup appris sur moi-même.

La simplicité de vivre, au-delà des repères et des codes que l’on s’impose, m’a permis d’atteindre la richesse du clair de lune où l’instant pénètre en soi, comme un bonheur que l’on ne peut perdre. La civilisation nous a rattrapé, mais notre voyage décalé, a apporté un nouveau souffle sur les habitudes. Pompon, comme un aimant, aide à passer les peurs des enfants et des adultes. La lueur dans les yeux, on nous remercie de la délicatesse de notre compagnon. Rires sur un parking d’automobile où l’animal reprend ses droits, nous sommes à nouveau accueillis chez Jean-Pierre qui ouvre ses portes, sa porte vers l’autre. Florian nous prépare une boisson chaude avec passion, nous échangeons sur nos difficultés, nos approches, nos croyances, avant que la nuit nous happe dans le repos nocturne pour nous recharger et redonner vie au lendemain, dans la discrétion de l’inconnu, de ce qui nous attend dans cette aventure. »

Et vous quelle aventure du moment serait la vôtre ? Quelle aventure, au profit de quoi ? Quelle aventure pour simplement vous retrouver et vous ressourcer ?

Un bon cheminement…

Vincent Vinckier (Coach professionnel & Auteur du livre « A son écoute »).

Nota : Cet extrait est issu du carnet de voyage de Vincent, avec lequel nous avons parcouru (accompagné de notre âne Pompon) les routes du chemin de Compostelle (départ du Puy en Velay le 31 mai 2014, arrivée Fisterra en Espagne le 31 juillet de la même année).

 

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