Silence, je t´écoute.
Le silence n´étant jamais parfait, le son zéro n´existant pas dans la nature, pas plus que le silence intérieur brouillé par un flot de bruit circulant constamment en nous. Je vais donc ici essayer de parler sur mes silences très relatif d´être humain.
Si le silence est la première condition pour un itinéraire intérieur, dans notre civilisation occidentale plutôt extravertie, le silence en société, peut créer un malaise et aboutir à l´angoisse. Tout plutôt que rien. Nous sommes presque tenus à un devoir de bruit pour éviter un silence mal assumé. Le bavard dans un numéro d´illusionniste sera prolixe pour mieux protéger son jardin intérieur et taire l´essentiel le concernant. C´est tout un art !
Dans certaines circonstances, en revanche, le silence préside. La parole demandée, puis accordée selon un code bien déterminé. Point de bavardage, point d´étalage point de délayage. La réflexion se fait brève et synthétique, un tri s´est opéré automatiquement pour ne pointer que l´essentiel. La parole encadrée de silence acquière ainsi une densité, une résonnance très particulière, favorisant la concentration tant chez l´orateur, que le récepteur du message.
Ce dernier réduit au silence n´est pas réduit en termes de réduction mais est avant tout protégé par ce silence qui lui est imposé.
Quelque soit la forme ou lieu pour une « retraite », j´ai pu expérimenter que ce retrait permet de maturer comme le vin, de lever comme le pain, en silence, selon son propre parcours, mon propre parcours. Ce silence me permet de découvrir une lecture nouvelle en étant reliée aux autres, présents ou absents. Dans cet univers clos choisi pour l´occasion, plus que par la parole je me suis sentie appartenir à un Tout. Coupée de l´extérieur je suis en prise directe avec l´ici et maintenant ignorant jusqu´au temps qu´il fait au dehors et c´est en sortant qu´il m´arrive avec étonnement de découvrir un magnifique soleil ou un début de neige que je ne soupçonnais pas sous la voûte étoilée.
Ce temps hors du temps m´a permit de lister les différentes sortes de silences, mais entre tous, je voudrais évoquer le silence de l´âme qui survient après les périodes de grande turbulence. En ce qui me concerne, j´associerais cette période à mon divorce. A cette époque, j´ai vraiment cru que mon Corps et mon âme resteraient brisés à jamais, que tout le reste de mon existence ne suffirait pas à me réparer, mais c´était sans compter sur nos capacités d´êtres humains à transcender nos révoltes, nos écœurements, nos indignations pour les sublimer dans une transformation acceptable. Et c´est peu à peu que des petites fleurs ont repoussé sur les décombres, que j´ai pu enfin m´approprier ce grand chahut comme faisant partie intégrante de moi-même. C´est bien après cette acceptation que tout au bout, alors je ne l´attendais pas, que dans un apaisement général, mon âme a fait silence en libérant à nouveau la confiance. Et c´est bien après que j´ai compris que mes frustrations étaient des trésors.
A cette même période est venu le temps du silence qui accompagne le dépouillement, celui qui a permis la descente en moi, celui qui coupe des parasites matériels, de l´agitation vulgaire pour permettre d´atteindre les tréfonds de notre être et toucher ce qui est essentiel pour nous. Comme ce jour où ayant perdu la majeure partie de mes biens matériels, je me suis retrouvé émerveillée devant ce brin de chèvrefeuille qui semblait à lui seul incarner le tout. Je ne me suis jamais sentie aussi riche qu´à cet instant-là. C´est en perdant mon petit royaume que j´avais gagné l´univers.
Et puis, par tempérament ou par éducation, pour me sécuriser, j´ai acquis à nouveau des biens. Plus je possédais, plus je m´encombrais, plus j´avais l´impression de porter lourd, plus je m´éloignais de ce brin de chèvre feuille qui chargeait son sac de pierre en arrivant à ne plus pouvoir le porter.
J´ai une amie que j´aime, je l´admire parce qu´elle ne possède rien, ou presque. Elle ne possède qu´un barbecue et des cannes à pêches. J´ai pour habitude de dire que mon amie est la plus riche au monde car flanquée de ses cannes et de son barbecue le monde entier lui appartient. Mon amie n´a pas de limites. Elle vit dans l´instant présent et savoure avec un plaisir sensuel le silence. Son silence. Quand je lui demande de me raconter la pêche, elle me décrit les sangliers, les chevreuils qu´elle observe à la jumelle le souffle suspendu lorsqu´ils viennent tout près s´abreuver sur les berges de la Loire. Au lever du soleil, elle admire les perles de rosée qui brillent plus que les diamants. Elle respire le parfum de l´eau, de la terre, mêlée à l´herbe foulée. Et le soir, quand la lune a remplacé l´éclat du jour, dans le zigzag désordonné des chauves-souris, elle sent les courants de fraicheur la traverser. Seules les braises incandescentes la réchauffent. Oui mon amie est riche, très riche, elle possède l´univers.
Tandis que dans mon petit monde je tire, pousse mon sac de pierre devenu de plus en plus lourd, elle, je la sens disponible, généreuse, ouverte devant son grand sac vide qui peut accueillir tout ce qui se présente. Y compris le silence.
En parlant de mon amie je révèle beaucoup sur moi. Serait-t-elle ma face cachée, ma part d´ombre, ou bien ma part de lumière ?
Devant nos différences nous rions de cette amitié qui dure depuis dix ans. Dans un silence respectueux elle semble me délivrer un message et c´est ce silence qui me conduit au cœur de moi-même.
Tandis que mon amie est dans l´être, où suis-je ? J´ai coutume de dire que je suis une bâtisseuse. Passionnée de maçonnerie je fais monter des murs, abattre des cloisons, ouvrir des fenêtres, je fabrique des murettes, des terrasses, plante des arbres. Toute cette création me fait vivre, vibrer, me réveille la nuit. J´exécute des croquis, des plans, des calculs. Mon imagination est un moteur. Dans ces périodes de gestation, si la vie me sourit, le silence me nourrit totalement. Je peux oublier de manger, de boire, de dormir. La musique m´est inutile, la radio n´a plus sa place. Les livres restent fermés. J´écarte tout ce qui dérange ma réflexion, me distrait de mon but. Seule la vie palpite entourée de ce silence fécond qui me permet d´atteindre les couches les plus reculées de mon inconscient où l´inspiration se dévide par saccades principalement avant l´endormissement au moment où la raison lâche prise et flotte, où les idées émergent une par une par des canaux inconnus et mystérieux. Dans ces périodes, je suis repue. La paix enfin s´installe, mes angoisses existentielles disparaissent, il n´y a de la place que pour cette forme de silence.
Et vous ? Eprouvez-vous le besoin de silence en ce moment ? Pour le cas échéant vous retrouver ? Prendre la ou les bonnes décisions ?
Un bon cheminement…
Danielle Perret
Nota : ce texte a été écrit par une personne au grand cœur, avec laquelle j´ai une profonde connexion. Merci Danielle pour ce partage et beau témoignage. Au plaisir de se revoir. Mickaël