Auto-stopper

Quel est ce personnage étrange le long de la route ? Cette personne qui pointe son pouce en l’air, avec plus ou moins d’intensité au niveau du rictus, suivant le temps passé à demander à un automobiliste bienveillant de monter, avec lui, dans son véhicule. Le rejoindre le temps d’un trajet. D’un court déplacement, ou d’un périple plus long lorsque cette requête se fait par exemple à proximité d’une autoroute.

D’où vient ce voyageur ? Pourquoi est-il là ? Que fait-il justement à cet endroit ? Ils ont l’air jeunes pourtant. N’ont-ils pas de parents ? Et ce couple n’a-t-il pas intérêt à se cotiser pour s’acheter une voiture ? S’ils n’ont pas les moyens, pourquoi le font-ils ? Ce genre de questions en pagaille fleurissent dans la tête de bons nombres d’entre nous. Les automobilistes. Autrement dit, ceux qui ont, qui vont. Ceux qui possèdent.

En quelque sorte sur les routes, ceux qui ont le pouvoir. Le pouvoir de dire « Merde », en continuant sans même bouger la tête leur trajet, le regard dirigé vers le point le plus lointain. Le pouvoir de dire « Non » lorsqu’avec un peu de courage on tente d’expliquer par un hochement de tête que ce n’est pas que l’on ne veut pas, mais c’est surtout que l’on ne peut pas. En tout cas pas à ce moment. Cela rassure autant que peut créer un petit sentiment de culpabilité. L’automobiliste a également le pouvoir de dire « Bon courage » par une petit signe de dépit à l’attention de cet auto-stopper. Se jurant qu’il ne se retrouvera jamais dans une telle situation.

A l’image des sans-abris pour lesquels la plupart d’entre nous n’ont que peu d’attention, les auto-stoppeurs manquent quant à eux bien souvent de considération. En effet, les réactions sont diverses, variées, suivant que l’on soit disposé ou non à partager un temps de trajet. En tant que conducteur soucieux d’arriver à l’heure à son prochain rendez-vous, le moindre imprévu, même visuel, peut être anxiogène. Il est loin le temps où des coups de klaxons encourageaient ces téméraires à poursuivre l’aventure. Leur donnant ainsi du baume au cœur qui pouvaient les inciter à sourire, voir à se remotiver. Il fut un temps où le fait de faire de l’auto-stop était considéré comme un ingrédient essentiel du voyage. Je ne parle pas seulement des virées décrites dans le fameux livre de Jack Kérouac « On the Road », mais celles plus accessibles à notre culture française où l’adage « les voyages forment la jeunesse » se prêtaient bien à cet exercice de l’auto-stop.

Aujourd’hui, il semble que ce dernier ait été remplacé par le système Bla-bla car. A l’époque, pour certains d’entre nous, tout était prétexte à rentrer en stop. On finissait plus tôt au lycée en raison d’un prof’ absent on se disait : « Allez, on rentre en stop ». On partait en vacances avec des copains et on ne savait pas comment revenir, idem : « Allez, on trouvera bien des gens sympas sur la route qui s’arrêteront pour nous conduire ».

L’image de l’auto-stopper est au fond une forme de métaphore de la vie. Parfois on se trouve au bord du chemin, un peu déçu ou dépité voir enjoué ou encore à la limite de l’inconscience néanmoins, nous avons une direction à prendre, un endroit où aller. L’envie de continuer, d’avancer est telle que l’on décide contre vents et marées que l’on doit prendre cette route. On n’a pas nécessairement les moyens de s’offrir le prix disons « économique » de ce périple, néanmoins, porté par une voie intérieure on sait qu’il s’agit de la bonne solution pour nous. Celle d’y croire et d’espérer, celle coûte que coûte d’avancer. A condition bien évidemment de croire en nous et nos possibilités, et d’être profondément déterminé en se mettant en marche. On prend un chemin. Et là, parce qu’il ne peut en être autrement on demande au fond de nous un petit « coup de pouce » de la destinée. Une rencontre, une personne qui s’arrête, qui nous donne une chance, un sourire ou un encouragement.

Beaucoup d’entre nous ont connu ou connaissent une période de reconversion professionnelle. Il n’est pas aisé dans ce cas de figure de demander de l’aide, de se tourner vers l’autre et d’oser faire ce premier pas. C’est pourtant une action nécessaire. Il faut se sentir suffisamment en confiance pour interpeller quelqu’un de notre entourage et demander s’il ne connaitrait pas quelqu’un qui connaitrait une autre personne qui… A l’inverse quand on se trouve en situation professionnelle, pris dans notre tourbillon du quotidien, on a parfois du mal à oublier qu’on est passé par là. On ne prend pas nécessairement le temps de rendre un petit service. De partager un CV ou donner un like à un jeune en train de se démener pour trouver une alternance car il a eu la mauvaise surprise de voir son contrat de mission annulé au dernier moment.

L’auto-stopper a autant besoin de l’automobiliste que l’automobiliste a besoin de l’auto-stopper. Les deux n’existent pas l’un sans l’autre. Ils sont intrinsèquement liés.

Pour partager une anecdote personnelle qui me permit d’expérimenter le pouvoir de l’intention et la matérialisation dans les faits d’un désir fort, je vous remets dans le contexte. Nous sommes en 2001. A cette époque je vis à Barcelone car après le bac j’avais envie de prendre un temps pour moi. Ma mère est enceinte de mon petit frère qui nait le 1er février de la même année. Bien évidemment, j’avais envie de le voir et avais pris soin d’acheter un billet de bus pour ce trajet de Barcelone à Lyon. Je ne sais pas pourquoi, j’avais laissé ma valise dans un casier de la gare de Sants pour la reprendre plus tard dans la nuit (ce qui en théorie m’évitait de m’encombrer avec ce poids). Je n’avais pas prêter attention au fait que cette gare était fermée la nuit alors même que mon bus parfait à 2 ou 3 heures du matin. Il était trop tard, je regardais le bus partir sans moi et ma valise que je devais récupérer à l’aube.

Une chose était sûre pour autant, je n’allais pas renoncer de sitôt. J’avais eu toute la nuit pour imaginer et visualiser le scénario de ce retour à Lyon. Dès le matin, je pris le métro et écrivis sur un petit carton la destination de « Lyon ». Je me rappelle même que la personne qui m’avait prêté le stylo le temps de composer cet écriteau me l’offrit. Je me suis ensuite positionné à un endroit stratégique à la sortie de la ville et sans vraiment attendre plus de vingt minutes, un hollandais me prit et m’emmena jusqu’à la frontière franco-espagnole. Il devait avoir peur que je transporte des substances illicites car il me laissa côté espagnol, juste avant de passer la frontière. Un autre français qui avait été adopté, confidence d’un voyage express, me récupéra quant à lui à la frontière espagnole pour retourner en France. Il venait régulièrement faire son plein d’essence en Espagne. Une troisième personne me récupéra depuis Perpignan jusqu’à Lyon. Il était originaire de Valence néanmoins sa femme avait été hospitalisé et il devait se rendre dans une clinique à Décines (dans la banlieue lyonnaise), là même où se trouvait ma tante hospitalisée à quelques chambres d’intervalles…  J’étais parti de Barcelone à 10h du matin et arrivée sur Lyon à 18h… L’auto-stop originaire de Valence qui me récupéra à Perpignan se rendait à la même clinique que ma tante à Décines (les deux étant hospitalisés au même étage). Je me répète volontairement néanmoins il semble que quand le destin décide de vous aider, tout semble se mettre en place pour réaliser cette prophétie.

Plus de 23 ans se sont passées néanmoins je revois encore le visage de chacun de mes hôtes automobilistes.
L’expérience fut grande et depuis ce jour, j’ai tiré la leçon que quoique l’on décide dans la vie, qu’indépendamment des moyens dont on dispose, il faut faire ce que l’on ressent au fond de soi et avancer, sereinement.

Et vous, étiez vous ou êtes vous adeptes du voyage en auto-stop ? Comment jugez-vous ce mode de transport ? Lorsque vous êtes en voiture, pensez-vous spontanément à inviter certains de ces voyageurs passagers à vous rejoindre pour partager un bout de chemin ? Allez-vous le faire ?

Plus généralement, dans votre vie, préférez vous conduire ou être conduit ? Dans l’un ou l’autre cas, n’est-ce pas l’occasion de se demander si au fond nous ne nous trouvons pas à la fois dans l’une ou l’autre des situations ? Ne sommes nous pas dans notre quotidien personnel et/ou professionnel à la fois auto-stopper et conducteur ?

Un bon cheminement…

Mickaël Garin.

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